12
Nos héros piquent et tranchent a tours de bras
Ils étaient dix.
Victoria en avait déjà exécuté deux, ce qui voulait dire qu’ils étaient douze au départ, sans compter les deux qui étaient entrés dans la maison. Avec Sébastien.
Au diable ce Sébastien qui fourrait son nez partout !
D’un croc-en-jambe, elle déstabilisa le vampire qui fondait sur elle tous crocs dehors. La créature alla s’écraser contre le banc de pierre sur lequel elle s’était assise quelques instants auparavant. Faisant volte-face pour stopper le vampire qui arrivait derrière elle, elle pointa son piquet, manqua son coup, et, emportée par son élan, embrocha celui qui arrivait juste derrière. Pouf !
Plus que neuf.
Heureusement, les morts vivants étaient trop nombreux et l’espace trop réduit pour qu’ils puissent se jeter sur elle tous en même temps... de sorte que si elle parvenait à en repousser un ou deux à la fois, puis à les transpercer avec son pieu, elle pourrait tenir jusqu’à ce que...
Victoria réprima un hurlement quand une masse tomba de l’arbre juste au-dessus de sa tête et s’abattit sur ses épaules.
Plus un font dix, calcula-t-elle tout en s’étalant face contre terre. Abasourdie et le souffle coupé, elle resta un instant sans pouvoir bouger. Mais sentant qu’on tirait sur sa chevelure pour dégager son cou, elle retrouva ses forces.
Elle exécuta une ruade arrière et d’un coup de talon énergique, frappa le vampire à la base du cou, puis recommença, mais ne parvint pas à le déloger. Une vague de panique s’empara d’elle lorsqu’un deuxième vampire tomba de l’arbre et s’accroupit à ses côtés. La saisissant par les poignets, il parvint à l’immobiliser. Ses doigts engourdis relâchèrent les piquets.
Son cou était à présent exposé et vulnérable. Elle se démenait en tous sens pour tenter de se libérer, mais ses gestes dictés pas la peur étaient désordonnés – tout le contraire des enseignements de Kritanu.
Une main la tirait par les cheveux pour dénuder sa gorge, tandis qu’un genou se plantait au creux de ses reins et la maintenait clouée au sol. Ravalant un sanglot – pas facile à faire quand on vous tire la tête en arrière –, elle regarda la créature assoiffée de sang droit dans les yeux et, dans un ultime effort, tenta de se dégager. Wham !
Elle ramena ses deux talons en arrière aussi fort qu’elle le pouvait et frappa le vampire qui perdit l’équilibre et alla percuter celui qui lui tenait les poignets.
Coincée sous les vampires à demi sonnés, elle se débattait furieusement pour essayer de se dégager quand elle sentit deux mains vigoureuses la prendre par les chevilles. Elle ne pouvait rien faire hormis remuer ses hanches.
Elle perçut un changement, une nouvelle présence. En un instant, ses chevilles furent libérées. Un swishhh, un léger craquement, puis un pouf. Le vampire qui était sur son dos disparut.
Ses poignets étaient libres. Elle roula de côté pour saisir l’un des piquets juste au moment où un autre vampire se jetait sur elle. Elle leva le bras et il s’empala sur le pieu. Bondissant sur ses pieds en repoussant ses cheveux de devant ses yeux, elle vit Max transpercer deux morts vivants d’un geste précis et rapide.
Soudain le silence se fit autour d’eux.
Ils étaient seuls, face à face et pantelants, chacun tenant un pieu à la main.
— Vous n’avez pas touché le livre.
— Mais que diable étiez-vous en train de faire ?
Dirent-ils en même temps.
Puis ce fut à nouveau le silence. Dans la pénombre, elle vit un filet de transpiration sur le beau visage sévère de Max. Il l’essuya d’un revers de main.
Victoria glissa son piquet dans le nœud coulant qu’elle portait à sa ceinture, puis saisit à deux mains l’épaisse masse de cheveux noirs qui s’était répandue sur ses épaules et devant sa figure. Si elle ne parvenait pas à les maintenir en place, elle les couperait. Les cheveux longs étaient une plaie quand ils vous tombaient devant les yeux.
Max s’approcha. Sa haute silhouette masquait la faible lueur de la lune. Avant même qu’elle ait pu réagir, il tendit la main et lui saisit le menton. Il lui tourna la tête de côté puis laissa courir ses longs doigts sur sa gorge.
— Vous n’avez rien, dit-il en la relâchant.
— Vous n’avez pas touché le livre, répéta-t-elle, en résistant à l’envie de passer une main sur son cou, là où il avait posé ses doigts.
— Non. Vous m’avez dit de ne pas le faire. Il est toujours à l’intérieur. Du moins je le crois. Combien en avez-vous tué ?
Sa respiration était moins saccadée, mais l’expression de son visage était toujours tendue et sévère. Une mèche folle tomba sur sa pommette, juste au coin de l’œil.
— Cinq. Peut-être six. Je ne sais plus au juste. Il y en avait douze ici, plus deux à l’intérieur.
— Ces deux-là, je les ai transpercés. Plus quatre ici. Ce qui veut dire qu’il en reste au moins deux.
Il se retourna et regarda la fenêtre par laquelle Victoria s’était sauvée.
— Mais ils ont pris la poudre d’escampette. Vous êtes-vous aidée de cet arbre pour descendre ?
Victoria hocha la tête, puis se baissa pour ramasser le piquet qui gisait à terre. Tandis qu’elle reprenait peu à peu son souffle, elle réalisa que non seulement elle avait failli perdre la bataille contre les vampires, mais que c’était Sébastien qui leur avait ouvert la porte.
Mais que diable faisait-il ici ?
Elle n’osa pas poser la question à Max, car c’eut été admettre qu’elle connaissait Sébastien, et du même coup trahir le serment qu’elle avait fait à Vioget.
— Dites-moi ce que vous savez du livre.
— Je sais qu’il doit être volé ce soir par deux – ou plus – morts vivants. Lorsqu’ils l’auront sorti de la maison, nous pourrons nous en emparer sans risque. Mais si un mortel le touche avant cela, il ou elle mourra sur-le-champ.
Max la considéra un moment en silence.
— Et d’où tenez-vous cette intéressante information ?
— Nous ne devrions pas rester ici, répondit Victoria en se dirigeant vers la maison. S’il y a encore deux vampires, ils ont dû s’emparer du livre. Nous devons le leur reprendre dès qu’ils ressortiront de la maison.
— Victoria ! lâcha-t-il d’une voix menaçante, pour l’obliger à s’arrêter.
Mais elle l’ignora et poursuivit son chemin.
En se postant à l’angle de la bâtisse, elle pourrait surveiller la porte d’entrée et le jardin sans être vue.
Max la suivit. Il marchait derrière elle d’un pas silencieux mais volontaire qui lui indiqua qu’il était hors de lui. Elle se dissimula derrière un chêne au feuillage très fourni. Max fit de même. Il se tenait derrière elle, une main posée sur le tronc. Un bout d’écorce se détacha et tomba sur son épaule.
— Victoria, d’où tenez-vous cette information ?
— C’est sans importance. Et d’ailleurs, vous ai-je demandé où vous avez appris ce que vous savez ? répondit-elle sans quitter la maison des yeux. Vous pensez qu’ils vont prendre le livre ce soir ?
— Vous et moi n’avons pas les mêmes sources, apparemment. Mais je doute qu’ils soient bien accueillis s’ils retournent auprès de Lilith les mains vides.
— Les morts vivants doivent le sortir de la maison. S’ils ne sont que deux ou trois, nous ne devrions pas avoir trop de difficulté à les délester de leur fardeau.
— En théorie, oui.
Ils se turent et attendirent, l’œil aux aguets.
Soudain, Max pointa du doigt, la faisant sursauter.
Ils étaient trois. Grands et larges d’épaules, leurs longues chevelures battant sur leurs épaules, ils se dirigeaient vers la maison et marchaient au milieu de la chaussée comme si la rue leur appartenait. Même à cette distance, Victoria fut frappée par la blancheur de leur peau, leurs yeux rouge violacé qui brillaient entre leurs paupières plissées.
Elle sentit son estomac se nouer. Discrètement, elle frotta sa paume moite contre l’écorce rugueuse du chêne.
Des vampires impériaux, lui chuchota Max d’une voix à peine audible.
Mais Victoria l’avait deviné. Les vampires les plus proches de Lilith, plus proches encore que sa Garde d’élite, étaient si puissants qu’ils pouvaient aspirer toute l’énergie vitale de leurs victimes sans se servir de leurs crocs – par la seule force de leur regard.
Lilith n’avait manifestement pas lésiné sur les moyens.
Les Impériaux se rapprochaient de Redfield Manor. Par chance, la brise était légère et soufflait en sens contraire, si bien que les vampires ne pouvaient pas détecter leur odeur. Victoria sentit un froid intense envahir sa nuque.
Ils étaient encore à une certaine distance, mais il émanait d’eux une telle haine et une telle... malveillance, qu’elle réprima un frisson.
Une fois n’est pas coutume, elle se réjouit de savoir Max à ses côtés.
Le Livre d’Antwartha était toujours à l’intérieur et il fallait qu’un mort vivant s’en empare, car Sébastien ne pouvait pas le faire.
Lilith savait que Max et elle étaient prêts à tout pour obtenir le livre. Y avait-il d’autres surprises qui les attendaient ce soir ? Tout Vénatores qu’ils soient l’un et l’autre, Victoria eut soudain la sensation désagréable que la reine des vampires avait une longueur d’avance sur eux.
Si elle était allée trouver tante Eustacia et Max pour leur raconter ce qu’elle savait, ils auraient pu mettre au point une meilleure stratégie. Après tout, Max avait l’expérience des Impériaux.
Mais Victoria avait voulu faire cavalier seul, et Max aussi. Résultat, ils se retrouvaient à devoir redoubler d’efforts pour faire obstacle à la détermination de Lilith.
Comment s’y prenait-on pour combattre un Impérial ? Elle avait l’impression que les battements de son cœur faisaient vibrer tout son corps.
Comme s’il avait pu lire dans ses pensées, un des vampires s’immobilisa au pied du perron et se tourna dans leur direction pour humer l’air. Victoria retint son souffle tandis que Max se raidissait à ses côtés.
Le vampire se retourna vers ses compagnons et ils se séparèrent. Ses deux comparses commencèrent à gravir les marches tandis qu’il restait posté au pied de l’escalier, non loin de la rue. Il portait au côté une longue épée qui touchait presque terre.
La porte de Redfield Manor s’ouvrit et les deux autres Impériaux entrèrent. Le troisième était seul à présent.
Elle manqua bondir de frayeur quand les doigts de Max se resserrèrent autour de son poignet.
— Moi d’abord, murmura-t-il dans le creux de son oreille. Attendez un peu, puis venez.
Sans attendre sa réponse, il sortit de l’ombre et se dirigea à grands pas vers l’Impérial.
Il n’avait pas d’épée, ni aucune arme hormis ses pieux de frêne et une petite branche d’arbre à l’extrémité déchiquetée.
L’Impérial fit face à Max qui continuait d’avancer dans l’herbe humide. Ses yeux à peine plus grands que des fentes luisaient dangereusement. Le Vampire attendait. Son sourire narquois et sa pose indolente indiquaient qu’il était prêt à en découdre.
Lorsque Max fut à environ deux pas, l’Impérial brandit sa lame. Certes, lui et Max étaient de force égale, mais pour combattre un Vénatore armé d’un piquet mortel, Lilith ne prenait pas de risques. Elle armait ses vampires de lances et d’épées. Le métal contre le bois. La force inhumaine contre la force sacrée.
Victoria comprit quel était le plan de Max. Son cœur se mit à battre à tout rompre lorsque les deux adversaires se placèrent face à face, mais elle attendit. L’Impérial avait flairé leur présence, mais en s’approchant du vampire, Max espérait sans doute masquer celle de Victoria.
Le métal brilla. Ils avaient engagé le combat. Un combat pour la vie. Ou la mort.
Elle s’était trompée. Max et l’Impérial ne se battaient pas à armes égales. Elle sentit la paume de ses mains devenir moite. Pour pouvoir tuer, le piquet de Max devait atteindre son ennemi en plein cœur, alors que l’épée du vampire pouvait le toucher mortellement n’importe où.
Et si elle le blessait, l’odeur du sang ne manquerait pas d’attirer les Impériaux et les Gardiens qui se trouvaient dans la maison... ou ceux qui erraient dans les rues.
Leurs mouvements étaient fluides et parfaitement coordonnés. Ils s’élançaient dans les airs, donnant parfois l’impression de ne plus toucher terre tandis qu’ils paraient et fendaient, chacun avec son arme, virevoltaient, sautaient, disparaissant derrière un arbre, reparaissant d’un côté de la maison, puis de l’autre. Tel un couple de marionnettes ou de danseurs engagés dans un ballet mortel, ils caracolaient dans les airs puis s’en revenaient furieusement au combat.
Victoria observait subjuguée les mouvements gracieux d’un art de combat qu’elle n’avait pas encore appris à maîtriser. Elle gardait les yeux fixés sur les deux rivaux, ne sachant à quel moment elle allait devoir sortir de l’ombre pour venir en aide à Max tout en priant le ciel pour qu’il ne fut pas trop tard.
Tout à coup, l’étau de glace sur sa nuque se resserra. Elle sentit quelque chose dans son dos et se retourna, juste à temps. D’un geste rapide, elle plongea en avant et planta son pieu dans la poitrine d’un vampire ordinaire qui croyait, à tort, pouvoir prendre par surprise une Vénatore aux aguets.
Ici s’achevait sa chasse nocturne.
Victoria se retourna en songeant que ses gesticulations avaient probablement alerté l’Impérial. Au même instant, elle vit sa longue lame s’envoler dans les airs avant de retomber à terre. Esquivant le vampire, Max s’en empara, se redressa et, d’un geste rapide et précis, trancha net la tête de l’Impérial au ras du cou.
Le vampire se désintégra.
Tout était silencieux.
Si l’on exceptait les furieux battements de cœur de Victoria et sa respiration haletante.
Max se retourna et la vit qui arrivait dans sa direction.
— Un de moins. Plus que deux à abattre, dit-il en venant à sa rencontre.
Elle constata qu’il ne semblait même pas essoufflé.
— Nous devrions pouvoir faire face. Vous allez vous poster de ce côté et moi ici, dit-il en désignant les touffes de buis de part et d’autre du perron.
— Je vous ai vu voler.
Il la regarda en haussant les sourcils.
— Oui, enfin, d’une certaine façon. Vous pensez tout savoir, Victoria, mais vous avez encore beaucoup à apprendre. A présent, allez vous cacher.
— Attendez.
Saisissant son bras, elle vit une tache sombre sur sa manche. L’Impérial l’avait blessé et il saignait.
— Il vous a touché.
— Bien sûr, répondit Max en dégageant son bras avec humeur. C’était la seule façon de détourner son attention pour pouvoir lui dérober son épée. Une simple botte de quart avec mon pic, et hop, il a lâché son arme.
Sous ses airs irrités, Max semblait content de lui.
— Félicitations, dit sèchement Victoria. Mais si nous ne bandons pas la plaie immédiatement, l’odeur du sang va attirer tous les morts vivants des alentours... sans compter ceux qui sont en ce moment même avec Sébastien.
Mince. Elle s’était trahie comme une idiote.
— Comment savez-vous son nom ? s’enquit Max sur un ton inquisiteur.
Mais Victoria refusa de se laisser impressionner.
— Plus tard, Max. D’abord nous devons...
Mais elle n’eut pas le temps d’achever sa phrase, car derrière eux la porte venait de s’ouvrir. Deux Impériaux parurent au sommet du perron.
Max et Victoria allaient devoir attendre que les vampires aient sorti le livre de la maison avant de pouvoir s’en emparer.
Tapis dans l’ombre de la haie, ils échangèrent un regard pour s’assurer qu’ils s’étaient bien compris.
L’Impérial qui se tenait sur le seuil n’eut pas à attendre longtemps son comparse, car celui-ci sortit presque aussitôt. Tous deux avaient les mains vides.
Ils semblaient chercher du regard leur compagnon ou bien avaient-ils détecté l’odeur de ses cendres dans l’air ?
Les Impériaux commencèrent à descendre l’escalier. Ils avaient dû flairer l’odeur du sang, car l’un d’eux s’était mis à renifler comme s’il respirait un parfum.
Juste au moment où il se tournait vers la haie de buis qui les abritaient, Max bondit en avant et, d’un coup d’épée, le décapita net. Comme le troisième et dernier Impérial faisait volte-face l’épée tendue, un autre visage s’encadra dans l’embrasure. Victoria s’élança sur le perron, au moment où il franchissait le seuil. Mais, hélas, il avait les mains vides.
De toute façon, elle n’avait d’autre choix que de le tuer. Ou se faire tuer.
Tandis qu’elle faisait face à son adversaire, un fracas métallique lui parvint du jardin où Max et l’Impérial étaient en train d’en découdre. Un cri. Elle détourna les yeux. Un bref moment d’inattention qui donna l’avantage à son adversaire. La saisissant par la taille, il la souleva de terre. L’instant d’après elle dégringolait l’escalier sur le ventre puis sur le dos avant d’atterrir en boule aux pieds de Max et de l’Impérial.
Max cria son nom sans cesser de croiser le fer.
Victoria se retourna et vit la silhouette d’un homme qui se laissait tomber du haut d’une fenêtre, un gros paquet sous le bras. Elle s’apprêtait à se lancer à sa poursuite quand elle fut projetée à terre, le nez dans le gazon.
Des mains crochues et glacées s’étaient emparées de ses cheveux pour dégager sa nuque. Son pieu à la main, elle battit l’air furieusement derrière elle pour essayer de piquer le vampire.
Mais au lieu de le toucher au cœur, le piquet se ficha dans son œil comme dans un grain de raisin, plop. La créature poussa un cri de douleur. Aussitôt Victoria se dégagea et se remit en garde.
Un regard rapide du côté de Max toujours aux prises avec l’ennemi, et elle détala aussi vite que ses jambes pouvaient la porter. Jamais elle ne se serait crue capable de courir aussi vite. La vis bulla y était certainement pour quelque chose. A moins que ce ne soit la divine providence.
Toujours est-il qu’elle parvint à garder le vampire dans son champ de vision. Il ne la devançait pas de beaucoup. Arrivé au coin d’une venelle, elle vit qu’il tournait. Elle fit de même et s’engouffra dans une allée obscure flanquée d’épais buissons et de haies qui occultaient le peu de clarté qui tombait du ciel.
Sa vision nocturne ou même son odorat étaient loin d’égaler ceux d’un vampire... mais elle continua sur sa lancée, s’engageant à l’aveuglette dans un boyau obscur. Il ne fallait pas qu’il lui échappe, sans quoi le livre irait à Lilith.
Lorsqu’elle émergea à l’autre bout du boyau, elle dut faire une pause. De quel côté était-il allé ? Il n’était nulle part visible... Tout à coup la sensation de froid dans sa nuque s’intensifia. Il était derrière elle. Il l’attendait tapi dans un fourré.
Erreur grossière.
Tournant les talons, elle s’en revint lentement sur ses pas. Elle savait que pour la suivre il allait devoir sortir des buissons, car à cet endroit la végétation était trop touffue et s’étirait le long d’un mur de pierre. Par chance, c’était un Gardien et non un Impérial, lesquels pouvaient changer de forme à volonté. Les Gardiens étaient de farouches soldats, dotés d’une force d’attraction puissante, mais ils étaient plus faciles à combattre que les Impériaux.
Cette fois, elle l’avait aperçu.
Pivotant brusquement sur elle-même, elle se mit à battre les fourrés à vigoureux coups de pieu jusqu’à sentir une résistance. Le vampire bondit hors du taillis et un furieux corps à corps s’ensuivit sur l’allée gravillonnée. Il lui avait passé les deux mains autour du cou ; pas question de perdre son temps à essayer de la mordre. Elle sentit l’étau se resserrer.
Elle avait de plus en plus de mal à respirer. Sa vision se voila, devint trouble. Elle saisit son piquet. Un coup... mais ses doigts mous et tremblants refusaient de lui obéir. Elle s’obligea à les resserrer.
Wham !
Elle l’avait touché à l’œil. Comme le précédent. Elle avait réussi à éborgner deux vampires ce soir. Mais cela ne suffisait pas. Roulant de côté, elle se remit sur ses pieds et lorsque le mort vivant se releva, une main posée sur son œil crevé, elle piqua... Pouf. Plus rien.
Victoria prit un moment pour reprendre son souffle, aspirant l’air à grands traits. Jamais respirer ne lui avait paru aussi délicieux. Elle tendit à nouveau l’oreille.
Rien.
Du silence.
Et un lointain claquement de sabots sur la chaussée.
Le livre.
Il avait dû le laisser tomber quelque part. Victoria recommença à battre les fourrés. Il était là, enfin. Elle retint son souffle en s’en emparant mais rien ne se produisit.
Avec un soupir de soulagement, elle cala l’encombrant fardeau sous son bras.
Et maintenant ?
Devait-elle retourner au Manoir pour s’assurer que Max allait bien ?
Et s’il avait...
Avant de songer à ce qui avait pu arriver à Max, elle devait d’abord ramener le livre à la maison et le mettre en sûreté.
Mon Dieu, faites qu’il soit toujours en vie.
Sinon, elle se retrouverait seule.